Pas d’accord ? Vous êtes complotiste !
Difficile de débattre lorsque nous ne sommes plus d’accord sur un socle de vérités partagées. Une commission d’experts a rédigé des propositions pour limiter la propagation des fausses nouvelles sur internet.
Mais au nom de la « raison scientifique », sont dénoncées comme « complotistes » toutes les idées qui remettent en cause le discours officiel … Allons-nous vers un ministère de la Vérité ?
Liberté est Servitude. » « Ignorance est Puissance. » « La Vérité, c’est le Mensonge. » Dans le roman 1984, les évènements anciens comme les plus récents sont réécrits par des fonctionnaires, afin que Big Brother, l’omniscient chef d’État, ne soit pas contredit.
La vérité est si mouvante que le sens des mots devient fragile. Georges Orwell estimait que « ce qu’il y a de véritablement effrayant dans le totalitarisme, ce n’est pas qu’il commette des atrocités mais qu’il s’attaque au concept de “vérité objective” : il prétend contrôler le passé aussi bien que l’avenir ». Pour l’auteur de 1984, la vérité est « quelque chose existant en dehors de nous, quelque chose qui est à découvrir, et non quelque chose qu’on peut fabriquer selon les besoins du moment ».
Mais comment faire lorsque plusieurs vérités s’affrontent ? Pour Nietzsche, une théorie n’est pas le résultat d’une recherche désintéressée de vérité, mais d’une volonté de puissance ; il faut donc se demander quel est le but de celui qui prétend dire la vérité. Michel Foucault, lui, dit que la vérité n’est ni absolue, ni stable, ni univoque.
En occident, le philosophe distinguait l’âge de la « vérité-foudre » et celui de la « vérité-ciel ».
La vérité-foudre est dévoilée à une date précise, sur un lieu déterminé et par une personne élue des dieux comme l’oracle de Delphes, les prophètes ou le pape.
La vérité-ciel est établie pour tous, toujours et partout : c’est celle de la science, qui possède également ses « grands prêtres ».
La vérité entretient une relation intime avec le pouvoir. Foucault la définit comme un « système d’obligations » : ce qui se donnerait comme étant « vrai », dans un contexte donné, imposerait à l’individu un ensemble de comportements jugés « bons ». Ça ne vous rappelle rien ?
Si personne n’est objectif, ou est le vrai ?
Au cours des ateliers d’éducation aux médias que j’anime dans des lycées et IUT, j’avertis les élèves : je ne vais pas leur apporter LA vérité sur l’information. Bien sûr, je les mets en garde contre les rumeurs colportées sur les réseaux sociaux – mais on ne s’attarde pas forcément sur le sujet, car beaucoup en ont marre qu’on leur répète la même rengaine. Leurs oreilles se font plus attentives lorsque je leur conseille de se méfier des médias qui se prétendent neutres. Nous parlons choix des sujets et des interlocuteurs, angles et hiérarchisation de l’info, ligne éditoriale, sociologie des journalistes, concentration des médias, publicité, presse indépendante …
Ils questionnent l’objectivité et je leur réponds que la notion d’honnêteté me semble plus pertinente : assumer d’où l’on parle, et faire son travail avec sincérité. Que même avec les meilleures intentions du monde, rien que le choix du sujet que l’on traite est un parti pris. À ce stade, certains ouvrent de grands yeux et demandent : si personne n’est objectif, où est le vrai ? Je n’ai pas de réponse.
« Un risque que les individus évoluent dans des réalités parallèles »
À chacun sa vérité ? L’idée est pratique, mais pas très satisfaisante. Si nous n’avons plus de vérités partagées (apportées par l’information, mais surtout par l’éducation), il devient difficile de débattre.
Commandé par Macron, le rapport d’experts « Les lumières à l’ère numérique » s’en inquiète :
« Il existe un risque que les individus évoluent dans des réalités parallèles où le consensus sur des faits documentés de manière empirique par des professionnels de l’information ou des théories étayées par les expériences et la littérature scientifique ne soit plus possible.
La disponibilité des fausses informations sur Internet et la polarisation des réseaux sociaux », menacent la possibilité « d’un monde où il est possible d’échanger, de se contredire, de réformer son jugement ».
Publié en janvier, ce rapport ne propose pas une réappropriation citoyenne des médias et des institutions, qui permettrait de construire collectivement une vérité commune.
Au contraire, en agissant sur les algorithmes afin de « réguler le marché » de l’information sur internet, il préconise d’y réinstaurer la hiérarchie qui prévaut dans les médias traditionnels : un sachant (scientifique, politique, patron…) vaut mieux qu’un ignorant (Gilet jaune, opposant au vaccin, et autres ploucs qui n’ont rien compris).
Des mensonges propagés par les médias « respectables » et par les responsables politiques, il ne dit quasiment rien, se contentant de demander timidement aux médias et aux institutions de « retisser un lien de confiance avec l’ensemble des citoyens », et de regretter que « la pression concurrentielle sur le marché de l’information » réduise la qualité du travail des journalistes.
Les « biais cognitifs » – ces bugs du cerveau qui nous font prendre du faux pour du vrai – sont en revanche longuement détaillés, et nous sommes invités à sortir de notre « paresse intellectuelle ». « Comme chacun d’entre nous est devenu un opérateur sur ce marché, il peut décider de partager ou ne pas partager, d’apprécier ou de ne pas apprécier une information.
Pour cette raison, la bonne santé de notre démocratie implique que chaque citoyen améliore sa vigilance intellectuelle. »
Le vaccin cité en exemple
Les recommandations du rapport explorent notamment deux grandes directions. D’une part, faire pression sur les plateformes et les acteurs de la publicité en ligne pour éviter que les contenus favorisant la haine et le complotisme soient survalorisés. D’autre part, développer et structurer l’éducation aux médias et à l’information, ainsi que la formation à l’esprit critique. Certes, mais où s’arrête l’esprit critique et où commence le complotisme ? Si les experts affirment s’en remettre à « la raison scientifique », leur travail reflète pourtant la vision politique du président Macron sur la question.
Ainsi, tout au long du rapport, la question du vaccin est citée en exemple, toujours selon le même schéma : si des personnes s’opposent à la vaccination, voire simplement émettent des réserves à son sujet, c’est qu’elles sont désinformées et/ou complotistes.
Les experts reprennent là un procédé largement utilisé par le pouvoir politique : utiliser l’existence de discours farfelus pour décrédibiliser tous ceux qui veulent ouvrir le débat et apporter une contradiction sérieuse.
« Vous n’êtes pas d’accord ? C’est que vous êtes complotiste ! »
Des arguments discutables sont assénés comme des vérités, tels que le « coût économique » du refus de la vaccination, idée tirée d’une étude états-unienne sortie de son contexte.
Dans cette situation, quelques propositions deviennent inquiétantes. Ainsi, le rapport recommande de « veiller à ce que, sur certains sujets fermement établis, le classement algorithmique n’induise pas en erreur le public sur l’état réel des connaissances.
Pour cela, encourager un dialogue entre les plateformes et les institutions scientifiques afin que l’existence d’un consensus soit reflétée dans la visibilité accordée aux diverses opinions ». De quelles institutions scientifiques parle-t-on, et qui décidera qu’un sujet est « fermement établi » ?
Cela signifie-t-il qu’une fois « fermement établi », un sujet ne pourra plus être discuté sous peine de censure ?
Bonnes et mauvaises fausses nouvelles
Les experts souhaitent aussi que « les fausses nouvelles susceptibles de troubler l’ordre public » fassent l’objet de sanctions pénales. Mais dans le même temps, ils observent que l’armée française, dans sa stratégie de défense face aux « manœuvres informationnelles » de groupes terroristes ou d’autres États, diffuse volontairement des fausses nouvelles.
Il y aurait donc des bonnes, et des mauvaises fake news ?
Au moment de la nomination de la commission, la philosophe Aliénor Barrière s’est inquiétée des positions de son dirigeant, Gérald Bronner, spécialiste de la sociologie cognitive et professeur à l’Université de Paris, mais également membre de l’académie de médecine et de celle des technologies. « Puisque cette commission a pour but de traquer le complotisme, voyons un peu comment M. Bronner définit cette notion, écrivait-elle.
Dans le numéro 449 de la revue Pour la science en 2015, il osait ces mots liberticides : “Par théorie du complot, il faut entendre simplement une interprétation des faits qui conteste la version officielle”.»
Dans l’Express , il affirmait aussi que « la variable prédisant le mieux le fait d’être complotiste était l’identification au mouvement des Gilets jaunes, plus encore que le chômage ou d’autres facteurs », mais que le fait d’utiliser l’homéopathie ou les remèdes de grand-mère pouvaient aussi y mener …
En gros, tout ce qui n’est pas reconnu et valorisé par l’État se trouve du côté obscur.
Pour Aliénor Barrière,
« la commission Bronner est symptomatique d’une captation de la raison par le pouvoir étatique. Le pouvoir politique se teinte d’une forme de religiosité gardienne du culte de la Raison, de la Vérité, des Lumières.
La commission sera alors la sainte inquisition de Ceux qui Savent : les Sachant contre les opinions « porteuses d’une face sombre ».
À quand le ministère de la Vérité ?
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