Méthode de Gribouille…
Ceux qui se livrent aux accès de toux avec une espèce de fureur espèrent bien qu’ils vont se soulager d’un petit chatouillement dans la gorge ; par cette belle méthode ils s’irritent la gorge, ils s’essoufflent, ils s’exténuent. aussi dans les hôpitaux et autres maisons de santé, on apprend aux malades à ne point tousser ; ce qui se fait d’abord en se retenant de tousser autant qu’on peut ; mieux encore en avalant sa salive juste au moment où l’on va tousser ; car l’un de ces mouvements exclut l’autre ; et enfin en ne se laissant point indisposer courroucer par ce petit chatouillement, qui se calme de lui-même dès que l’on arrive à le mépriser.
Pareillement, il y a des malades qui se grattent et qui se donnent ainsi une espèce de plaisir trouble, mêlé de douleur, qu’ils payent ensuite par des douleurs plus cuisantes. De même que ceux qui toussent de tout leur cœur, ils arrivent à une espèce de fureur contre eux-mêmes.
C’est une méthode de Gribouille…
L’insomnie offre des drames du même genre où l’on souffre du mal que l’on se fait à soi-même. Car rien n’empêche que l’on reste quelques temps sans dormir ; et l’on n’est pas si mal dans un lit. Mais la tête travaille ; on se dit que l’on veut dormir ; on s’applique à dormir ; on y met toute son attention, et si bien, que l’on reste éveillé par cette volonté et par cette attention même. Ou bien encore on s’irrite ; on compte les heures ; on juge absurde de ne pas mieux employer le temps précieux du repos ; en même temps on saute et on se retourne comme une carpe sur l’herbe.
Méthode de Gribouille…
Ou bien encore, et aussi bien le jour que la nuit, si l’on à quelque sujet d’être mécontent, on y revient dès qu’on le peut ; on reprend sa propre histoire comme un roman bien noir que l’on a laissé ouvert sur sa table. On se replonge ainsi dans son chagrin ; on s’en régale ; on revient sur ce que l’on craint d’en oublier ; on passe en revue tous les maux possibles que l’on peut prévoir. On gratte son mal enfin.
Méthode de Gribouille…
Un amoureux que sa belle a renvoyé ne voudrait pas penser à autre chose ; mais il reprend les bonheurs passés et les perfections de l’infidèle, et ses perfidies, et ses injustices. Il se fouette lui-même de tout son cœur. Il devrait, s’il ne peut penser à quelque autre chose, considérer son malheur autrement ; se dire que c’est une petite sotte qui n’est déjà plus de première fraîcheur ; imaginer la vie qu’il aurait eue avec cette femme devenue vieille ; peser scrupuleusement les joies passées ; faire la part de son propre enthousiasme ; faire revivre ces minutes discordantes sur lesquelles on passe quand on est heureux, mais qui, dans la tristesse, servent alors de consolation.
Finalement arrêter son attention sur quelque trait physique, œil, nez, bouche, main, pied, son de voix qui ne plaît pas ; il y en a toujours ; j’avoue que c’est là un remède héroïque.
Il est plus aisé de se jeter dans un travail compliqué ou dans une action difficile.
Mais de toute façon, il faut s’appliquer à se consoler,
au lieu de se jeter au malheur comme au gouffre.
Et ceux qui s’y appliqueront de bonne foi
seront bien plus vite consolés qu’ils ne pensent !
ALAIN - Propos sur le Bonheur
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