Intolérance au gluten : et si la malbouffe était responsable ?
Le gluten, composant de la farine de blé, de seigle ou d’orge, est accusé d’être la source de nombreux maux de santé. Reporterre a mené l’enquête pour comprendre pourquoi nous sommes si nombreux à nous penser hypersensibles. Et comme dans tout bon polar, le coupable n’est pas celui qu’on croit...
Il est devenu la bête noire, la cause de nos maux de ventre, de notre fatigue, de nos douleurs articulaires, de nos tracas quotidiens qui nous plombent le moral et la santé sur le long terme : le gluten. Du moins, c’est ce dont il est souvent accusé. Alors que le débat fait rage sur la Toile, Reporterre a décidé de se lancer dans l’arène … Faut-il céder à la folie du sans gluten ? Ou, au contraire, condamner cette mode frivole menée par une flopée de stars ?
Il faut d’abord bien distinguer les troubles provoqués par la dite protéine. Brigitte Jolivet, présidente de l’Association française des intolérants au gluten (AFDIAG), fait le tri :
« Il y a d’abord, la maladie cœliaque, qui peut être diagnostiquée. Le gluten provoque une destruction de la paroi intestinale des patients. Ensuite, il existe une allergie au blé. Ces deux premiers problèmes requièrent un régime strict sans gluten. Enfin, de plus en plus de spécialistes sont confrontés à des patients qui réagissent quand ils mangent du blé, présentent des symptômes proches de la maladie cœliaque, mais ne l’ont pas. »
L’effet « nocebo »
C’est cette dernière catégorie, les « hypersensibles » au gluten, qui intrigue désormais les scientifiques. « Ils rapportent que, quand ils mangent du blé, ils ont des ballonnements, des maux de tête, se sentent fatigués ou ont mal à la tête, et que les symptômes cessent quand ils suppriment le gluten – donc en fait le blé – de leur alimentation, détaille Marie Bodinier, chercheuse spécialiste des allergies alimentaires à l’INRA (Institut national de la recherche scientifique) de Nantes. On estime que 10 % de la population française se plaint de ce type de symptômes. Mais on n’a, à ce jour, aucun argument scientifique pour affirmer que ces personnes ont de bonnes raisons de se déclarer sensibles au gluten. »
Marie Bodinier cite cependant l’exemple surprenant – et convaincant – d’une étude sur les sportifs de haut niveau. Dans le groupe d’athlètes étudié, 41 % d’entre eux ont arrêté le gluten et affirment que cela améliore leurs performances. « Pour l’instant, on en est au stade de l’observation, des études cliniques. Et on commence à poser des hypothèses », raconte la spécialiste des allergies.
La recherche prend donc le problème au sérieux depuis environ cinq ans, mais, pour l’instant, aucune des nombreuses hypothèses avancées n’a été validée …
La première est « l’hypothèse psychologique », comme la nomme Anthony Fardet, chercheur en nutrition à l’INRA de Clermont-Ferrand. L’engouement médiatique pour le régime sans gluten, soutenu par le fait que de grandes stars du cinéma, de la musique ou du sport s’y mettent, provoque un questionnement inquiet chez le grand public : et si mes problèmes de santé, et tous ces petits tracas de santé quotidiens, venaient en fait du gluten ? Avouez-le, vous vous êtes déjà posé la question. C’est ce que l’on appelle l’effet « nocebo », par opposition à l’effet placebo : le fait de savoir que le gluten peut être mauvais pour la santé fait que si vous arrêtez d’en manger, vous vous sentez tout d’un coup mieux. Pratique, non ?
La « qualité boulangère »
« Je pense que l’effet nocebo est très important, estime le scientifique. Mais ce n’est pas suffisant pour tout expliquer, probablement que l’hypersensibilité au gluten est la conséquence de facteurs multiples. » Le chercheur distingue donc deux autres types d’explications possibles : « Il y a l’hypothèse génétique : les gens présenteraient des sensibilités différentes au gluten. On a déjà constaté cela pour le lactose, par exemple. Enfin, il y a l’hypothèse technologique. La main de l’homme est allée trop loin dans la transformation du blé. »
Revenons donc au champ. Pour faire du pain, il faut du blé ayant une bonne « qualité boulangère », une caractéristique liée au gluten et en particulier à l’un de ses composants, les gluténines. « Dans les blés à forte valeur boulangère, les gluténines ont des poids moléculaires plus élevés », explique le nutritionniste Christian Remesy.
Traduction : les molécules de gluten seraient plus lourdes, plus grosses, et donc plus difficiles à digérer. Or, c’est ce type de blés qui a été développé et semé dans les champs français ces trente dernières années.
Un gluten plus lourd, et aussi plus diversifié. C’est ce qu’explique Marie Bodinier à Nantes :
« On a complexifié le système génétique du blé et donc augmenté la diversité des protéines de gluten. Or, plus on a de protéines différentes, plus on a de chances d’avoir des allergies. Je discutais avec mon boulanger sur le marché, il me disait que quand ses clients consomment du pain à base d’un blé ancestral, le blé Kamut, ils le digèrent plus facilement. Les blés anciens seraient plus digestibles que les blés modernes. C’est une hypothèse à tester. »
Un postulat réfuté par Gérard Branlard, généticien spécialiste des blés à l’INRA. « Dans les blés d’hier comme d’aujourd’hui, ce sont les mêmes protéines de gluten. Après, c’est vrai que leur diversité est très importante et qu’elles peuvent avoir des propriétés différentes », répond-t-il.
« Des farines très raffinées, très blanches »
Gérard Branlard cherche l’explication du côté du changement climatique. (!)
« Des températures élevées en juin et juillet, lorsque le blé mûrit, peuvent créer un stress, explique-t-il. Il y a des accidents lors de la constitution des protéines de gluten, elles s’assemblent et donnent parfois des polymères (des molécules constituées de nombreuses sous-unités) dix fois plus grosses que la normale, qui sont plus difficilement dégradées dans l’estomac. »
Surtout, le scientifique se tourne vers les étapes suivantes du traitement du blé.
« Il faut regarder du côté de la technologie boulangère, elle a énormément évoluée ces cinquante dernières années », indique-t-il.
C’est ce sujet-là qu’a creusé Anthony Fardet. Première étape : la transformation du blé en farine. « On fabrique des farines très raffinées, très blanches, et cela élimine certains composants du blé qui sont anti-inflammatoires », explique-t-il.
Deuxième étape : la fabrication des aliments et en particulier du pain. « On fait subir à la farine des pétrissages très intensifs, qui créent des réseaux de gluten plus compacts et donc moins accessibles aux enzymes de notre système digestif », ajoute Anthony Fardet.
L’ajout de gluten, pratique courante de l’ agroalimentaire ...
« Puis, le temps de fermentation a réduit. Avant, le pain reposait toute une nuit. Cela lui permettait de lever, mais, surtout, aux enzymes de commencer à découper le gluten. Désormais, la fermentation ne dure parfois que deux heures », complète Gérard Branlard.
Il poursuit avec la cuisson : « Le gluten est comme les œufs : pour être facilement dégradé par notre organisme, il doit coaguler. Cela arrive à 80-85 °C. Mais aujourd’hui, dans les terminaux de cuisson qui réchauffent du pain congelé, on n’arrive parfois pas à ces températures-là. On mange du gluten pas cuit ! »
« Et on ajoute aux aliments du gras et du sucre, qui eux sont inflammatoires, regrette encore Anthony Fardet. Donc, je pense que le problème est vraiment du côté du pain blanc raffiné, fabriqué à partir de pâte précongelée, et également des céréales du petit-déjeuner très transformées. »
Enfin, les scientifiques de l’INRA interrogés par Reporterre dénoncent en chœur une pratique courante de l’agroalimentaire : l’ajout de gluten. On en trouve dans les farines, pour augmenter leur « qualité boulangère », et donc dans toutes les préparations qui contiennent de la farine (pizzas, biscuits, pâtes). On en trouve aussi dans les plats préparés, les sauces, les desserts, où le gluten joue le rôle d’épaississant. Il arrive même dans l’alimentation animale, pour les poissons ou le lait en poudre donné aux veaux.
« Environ 30 % des produits alimentaires sur les linéaires des supermarchés sont additionnés de gluten », estime Gérard Branlard. Et cela ne risque pas de s’arrêter : « Il est abondant, car c’est un sous-produit d’une autre industrie, celle de l’amidon. Le gluten est la protéine végétale la moins chère au monde. »
Notre système digestif serait donc saturé d’un gluten de plus en plus difficile à digérer … Mais attention, précise Anthony Fardet : « Le problème, ce n’est pas de manger du blé, c’est que l’on consomme trop d’aliments transformés ! »
« Au bout de trente à quarante ans d’alimentation industrielle, le système digestif de nos contemporains a probablement été fragilisé », appuie Christian Remesy.
La sensibilité au gluten ne serait en fait que l’un des symptômes d’une dégradation générale de notre système digestif, attaqué par la malbouffe.
Prendre soin de son alimentation
« C’est l’une des hypothèses les plus sérieuses, affirme Marie Bodinier. Nous avons des régimes alimentaires qui contiennent trop de gras, de sucre et pas assez de fibres. Là-dessus, on met des normes d’hygiène très strictes et on se bourre d’antibiotiques donc notre système immunitaire est moins en contact avec les pathogènes, on est moins résistant. »
Pour elle, c’est notre « microbiote », soit l’ensemble des micro-organismes qui vivent sur notre peau ou dans notre système digestif, qui est atteint : « Tout cela crée des déséquilibres et donc des réactions inflammatoires qui se traduisent par des allergies, ou des hypersensibilités, au gluten par exemple. »
Alors, doit-on tous arrêter le gluten ? Sûrement pas sans avis médical, clame l’Association française des intolérants au gluten. En revanche, prendre soin de son alimentation semble être la bonne voie. « Les populations qui consomment moins de produits transformés, comme dans le régime méditerranéen, ont moins de maladies chroniques », rappelle Anthony Fardet.
« Il faut développer d’autres variétés de blé et privilégier le pain au levain, pour une fermentation qui dégrade le gluten, complète Christian Remesy.
Mais il ne faut pas dévaloriser un aliment aussi fondamental que le pain, surtout si c’est au profit de produits industriels pas forcément de meilleure qualité. »
Ce composant mal-aimé de la farine de blé, de seigle et, dans une moindre mesure, de l’orge, est constitué de deux protéines assemblées (gliadines et gluténines). Au contact de l’eau, elles se replient sur elles-mêmes et deviennent élastiques, collantes, et permettent au pain de se tenir et de gonfler. Une propriété qui lui a donné son nom : gluten, comme la glu, tout simplement !
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